Copie d’un texte de Corinne Lepage publié sur Agoravox. Via Carnets de nuit
Jappartiens à une génération bienheureuse. Née après la guerre, jai grandi avec cette société de consommation qui en Occident nous a donné accès à un ensemble de biens et de services que mes grands-parents nauraient pas même imaginés.
Chaque année nous apportait une offre croissante que notre pouvoir dachat en perpétuelle augmentation nous permettait dacquérir. Ce qui relevait de la vie dun millionnaire américain en 1930 (voyage en avion, vacances à lautre bout du monde, biens de consommation en abondance, une à deux voitures particulières…) est devenu la norme des classes moyennes.
Jai profité, comme tout le monde, de cette mondialisation qui faisait rêver les puissants et trembler les ouvriers des usines délocalisées. Mais jai aussi mené la bataille de communes bretonnes qui ne voulait pas être les dégâts collatéraux raisonnables de cette frénésie du toujours plus.
A chaque combat juridique (marées noires, pont de lîle de Ré, lignes THT, OGM…), jai senti larrogance des forts qui pensent incarner le progrès technologique sans contrôle, la croissance en Majesté. Je suis fière de ces combats menés avec tant de gens différents tous animés par la même détermination contre les injustices. Mais je suis aussi frustrée dintervenir souvent après la décision pour empêcher son exécution, ou après le drame, pour obtenir compensation. Si aujourdhui, je me couchais chaque soir paisible, avec la certitude rivée au corps davoir mené à bien ma petite barque, cest que je serais devenue aveugle et lâche.
« Et ces hommes clignent des yeux en disant nous avons trouvé le bonheur », écrivit Nietzsche… Notre monde rempli de matière ne nous a pas apporté le bonheur. Sommes-nous plus heureux parce que nous avons accumulé tant de biens matériels ?
Dans cette Europe de paix, dans ce monde occidental plus serein, nous avons semé de biens mauvaises graines. Nous avons largement entamé les ressources et détruit le patrimoine de notre planète sans vouloir entendre lalarme des scientifiques. La négation du réel nous laisse croire que notre petit monde pourra durer un peu plus longtemps, jusquau prochain renouvellement de mandat.
La presse ne veut pas blesser ses annonceurs qui assurent leur survie par lachat quotidien despaces publicitaires, quand elle nest pas directement détenue par lindustrie. Mais notre impérative urgence de ne rien faire et lidée que nos mots ralentiraient les maux ont été lourdes de conséquence : dérèglement climatique, sixième extinction animale, déforestation, surexploitation des mers, empoisonnement de lair, de leau , stérilisation des sols… liste non exhaustive de maux qui se cumulent avec un effet exponentiel. Je ne peux me contenter darriver après, en tant quavocate.
Il faut que je sois là avant, pour anticiper les catastrophes, changer la donne, initier un nouveau projet de société qui soit enfin viable et où nous retrouverions le goût du bonheur. Cest cela faire de la politique.
Le pouvoir politique, médiatique et économique a été élevé en vase clos. Issus des mêmes écoles que leurs conseillers et lensemble des hauts fonctionnaires, ses responsables sont formatés pour une gestion de lexistant. Ils croient fermement que nous avons atteint le stade ultime du développement humain, cette « fin de lhistoire » que décrivit Francis Fukuyama.
Leurs outils de mesure sont la croissance économique et le PIB. Ce qui ne rentre pas dans leur grille nexiste pas. Sept millions de Françaises et de Français vivent en dessous du seuil de pauvreté ? Une ligne statistique qui ne perturbe pas le chiffre du commerce extérieur. Le taux de suicide effarant chez les jeunes adultes, la consommation de neuroleptiques, dantidépresseurs ? Du chiffre daffaires pour les laboratoires qui les fabriquent, les pharmaciens qui les distribuent, encore du PIB. Une femme décède tous les quatre jours sous les coups de son partenaire ? Rien.
Leurs outils sont systématiquement tournés vers la création de profils financiers. Et jusque-là tout allait bien, jusquà cette damnée croissance en berne. Cette croissance économique est un aveuglement idéologique. Regardons notre pays à travers dautres indices, et nous ne pouvons que constater la chute de la France dans les évaluations. Avec lindice de développement humain, nous voici déjà mauvais élèves. La mesure de la corruption ne nous place pas mieux.
Quant à la place des femmes dans notre société, elle nous permet doccuper les profondeurs du classement. Notre société exclut et détruit. Elle criminalise et envoie les « déviants » dans des prisons indignes dune démocratie après des années dattente dun jugement pour des innocents qui en sortent anéantis.
Et pourtant. Je retrouve Montaigne : « Pour moi donc jaime la vie », et je lutte. Peu importe que sur le chemin de la présidentielle, il me soit opposé les sondages, le refus des médias ou le vote utile. Je ne me soumets quau seul jugement des électeurs auxquels je livre un projet cohérent et complet. Jai pour cela proposé une nouvelle constitution et un livre-programme réconciliant écologie et économie, Ecoresp, pour un New Deal écologique. Le volet sociétal est sur létabli…
Aucun de celles et deceux qui voteront pour moi le 22 avril naura à avoir honte de son choix. Je nincarne pas un vote de rejet, mais ladhésion à un projet, un vote utile pour mes concitoyens. Je me bats pour que notre futur ait un avenir. Et je crois au pouvoir nouveau du dialogue démocratique par les nouvelles technologies de linformation et de la communication, grâce à la révolution du pronétariat, selon lexpression consacrée de Joël de Rosnay. Je donne à toutes et à tous un message, et jappelle celles et ceux qui y adhèrent à le transmettre, à en débattre, à lenrichir.
Alors nous aurons gagné le pari de lintelligence collective contre larrogance médiatique télévisuelle qui nous sert le brouet indigeste dune élection déjà faite et croit détenir un droit de propriété sur « du temps de cerveau disponible ».